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Sophie LOUCACHEVSKY
Un paysage, c’est comme un visage
Du 24 avril au 17 mai
“Carte Blanche” à Jean-François
Peyret, qui présentera les aquarelles de Sophie
Loucachevsky.
Spécialisée dans la promotion de l’abstraction géométrique, la Galerie Wagner s’offre une parenthèse en donnant “Carte blanche” à Jean-François Peyret, auteur et metteur en scène.
Homme de théatre et de culture, amis des artistes et des scientifiques, Jean-François Peyret a choisi de mettre en scène les aquarelles de Sophie Loucachevsky, qui fut sa complice il y a 30 ans.
Metteur en scène jusqu’en 2018, Chevalière de l’ordre des Arts et des Lettres, Sophie Loucachevsky aura passé la majeure partie de sa vie sur les planches. Du théatre de Chaillot au théâtre de la Colline, en passant par celui de l’Odéon, quand elle n’était pas à l’étanger pour monter des spectacles d’envergure… Mais c’est par le dessin qu’elle a commencé sa carrière, après avoir suivi les cours des Beaux-Arts en section architecture. Et c’est avec le dessin qu’elle trouve aujourd’hui un nouveau souffle de vie.
Son sujet : l’enfance. Et particulièrement, les mouvements de l’enfance.
Sans voyeurisme aucun, mais avec la bienveillance de la grand-mère qu’elle est récemment devenue, Sophie Loucachevsky ne cesse de contempler avec quelle grâce emprunt de maladresse, les enfants se déplacent, jouent dans le sable à la recheche du coquillage d’exception… Des heures durant, elle capte le moindre détail insolite qui donne à chaque posture toute sa fragilité poétique.
La Galerie Wagner présente une trentaine d’aquarelles inédites qui ont pour particularité de montrer des enfants de dos. Le titre de l’exposition, emprunté à Jean-Luc Godard, témoigne de la pudeur avec laquelle Sophie Loucachevsky aborde le sujet de l’enfance.
«Qu’on devine mon embarras lorsque Florence Wagner me proposa de faire une carte blanche dans sa galerie. Et si, comme j’aime à le dire, je suis un usager des arts plastiques (sic), si il m’arrive de chercher des idées de théâtre, si j’aime m’entourer d’œuvres amies et surtout me tenir dans les ateliers de peintes ou de sculpteurs, je n’ai aucun titre à m’improviser commissaire et je ne vais pas à mon âge entamer une carrière de commissaire (d’exposition, s’entend). Pourtant il fallait bien honorer cette invitation. Je cherchais dans mon répertoire intérieur ; il y avait bien sûr Sophie Coroller qui me laisse accompagner son travail, mais elle est déjà une artiste de la galerie Wagner !
Alors je risquai une proposition : depuis pas mal de temps, j’étais intrigué par les aquarelles que me montrait Sophie Loucachevsky. J’étais un familier de son travail de metteur en scène de théâtre ; nous avions même collaboré naguère (ou jadis ?) pour fabriquer le Théâtre-Feuilleton à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, une aventure de plus d’une saison. Depuis qu’elle s’était éloignée du théâtre, Sophie avait renoué avec la vieille et bonne habitude de dessiner et peindre. J’ai encore en mémoire ses carnets de mise en scène où les notes qu’elle prenait étaient davantage des dessins ou esquisses que des mots ou phrases, croquis de personnages ou figures, généralement en mouvement. Croquis cinétiques, je les revois distinctement : cette attention au mouvement, la mise en scène comme chorégraphie. Et aussi l’attention aux costumes, un fil rouge, si l’on peut dire. La mémoire du théâtre a retenu les costumes de Madame de Sade à Chaillot… Tout est encore là dans ces aquarelles.
Reste que ce travail est bien loin de la ligne de la galerie de Florence ; elle m’avait bien dit que ces cartes blanches étaient une occasion de faire des pas de côté. Mais de là à… C’est avec une certaine inquiétude que je montrais ces aquarelles, des paysages marins d’Afrique du Sud dans lesquels s’ébrouent de très jeunes enfants ! Avec une énigmatique particularité : ces enfants sont vus de dos ! Et vint le coup de théâtre (sic) : Florence, visiblement émue par ces œuvres accueillit favorablement la proposition.
Je disais énigmatique : je ne saurais résoudre cette énigme, et je ne suis pas pourvoyeur de sens. Mais de la part d’une femme de théâtre, le geste est remarquable : comme un renversement de perspective ; la metteur en scène se met de l’autre côté, derrière les personnages au lieu de leur faire face. Du reste, elle ne leur fait pas face et efface leur visage. Comme s’il fallait par ce retournement se mettre à l’abri du drame, et laisser le paysage en l’état et les enfants hors de toute atteinte.»
Jean-François Peyret